Changement de décor pour ce nouvel épisode de notre Tour de France des Tiers-Lieux : on vous emmène à l’Hôtel Pasteur, dans le cœur historique de la capitale bretonne, à Rennes !

Nous voilà sur la place Pasteur, face à un édifice remarquable du 19ème siècle. Ancienne Faculté des Sciences, devenue Faculté Dentaire puis Centre Hospitalier, le lieu est définitivement vidé de ses activités scientifiques, faute d’espace, et ferme ses portes au milieu des années 2000.

Il deviendra progressivement, entre 2012 et aujourd’hui, l’Hôtel Pasteur : un « hôtel à projets » accueillant temporairement des porteurs de projets en développement.

 

Au travail en travaux

Sophie Ricard et Lise Buisson nous accueillent et nous entraînent dans l’aventure. En passant les portes, on ressent déjà l’inspiration qui se dégage de la nouvelle histoire du lieu.

Direction la salle de réunion qui sert de bureaux à nos deux hôtes. On y croise Guillaume Jouin-Tremeur, maître d’oeuvre des travaux pour le collectif Encore Heureux, qui s’est aussi installé ici. Il attrape un café, reprend ses plans et repart sur le chantier en cours dans le bâtiment.

Cette pièce vient d’être investie en attendant sa rénovation : puisqu’ici on vit le chantier, nos trois compères déménagent au fur et à mesure que celui-ci avance dans les différents espaces de l’Hôtel Pasteur. C’est quand même plus drôle et propice à la créativité que les habituels algeco austères !

Présentation de l'Hôtel Pasteur par Sophie Ricard

Sophie Ricard avait eu l’excellente idée d’inviter les porteurs d’un autre projet de l’agglomération rennaise et des étudiants en architecture de Nantes

 

On s’installe autour de la table avec un café, et Sophie remonte le temps pour nous expliquer la genèse de cette expérience qui fait, déjà, date :

  • Fin 2012 : cela fait 6 ans que ce bâtiment public patrimonial est fermé et que son devenir est questionné. Patrick Bouchain, architecte engagé et scénographe, propose alors une démarche expérimentale et innovante grandeur nature. Il convainc plusieurs institutions de financer l’opération : la Ville de Rennes, Rennes Métropole et Plan Urbanisme Construction Architecture – PUCA (agence interministérielle dédiée à la recherche-action). Le projet leur apparaît pertinent puisqu’il permet de faire quelque chose de concret tout de suite et à moindre coût sur ce lieu abandonné. Il participe à l’entretenir, et en même temps à y inventer un espace adapté aux évolutions de la société et aux aspirations des citoyens.
  • L’idée est alors de ne pas présupposer à l’avance des attentes et des besoins des usagers du lieu (ce qui mène en général à dépenser des sommes importantes pour concevoir des espaces qui in fine s’avèrent mal adaptés), mais plutôt de créer les conditions de la confiance. À travers cette dynamique, une communauté d’acteurs se mobilise et révèle par l’action les usages possibles de ces espaces communs de rencontres et d’expériences. L’Université Foraine est ainsi créée pour apporter la dimension concrète de la vision en donnant à tout le monde la possibilité de s’approprier Pasteur par les actes, en responsabilité, sans projet ni programme globaux prédéfinis. Il s’agit là d’une pratique extrêmement novatrice par rapport aux habitudes des collectivités et des architectes.
  • En parallèle, entre 2013 et 2014, Sophie Ricard décline une nouvelle pièce maîtresse de la vision défendue par Patrick Bouchain : la permanence architecturale. Elle pose donc littéralement ses valises à l’Hôtel Pasteur, ce qui permet de construire et matérialiser la confiance auprès de tous, et donc de favoriser la réussite commune du projet. Elle connaît parfaitement les rouages de ce processus puisqu’elle vient de l’incarner pendant 3 ans à Boulogne-sur-Mer où elle a habité au coeur du quartier Chemin Vert, celui-là même pour lequel elle était chargée du réaménagement en tant qu’architecte.

« Parce que si tu n’y habites pas, Sophie, tu seras trop éloignée du besoin, de la commande, et surtout tu n’arriveras pas à comprendre quelles sont les personnes qui y habitent, quels sont leurs savoirs. Peut-être d’ailleurs qu’il y a très peu à faire pour redonner quelque chose à cette rue. » – Patrick Bouchain à Sophie Ricard, à propos de la permanence architecturale à Boulogne sur Mer, dans le cadre du laboratoire de réflexion qu’il met en oeuvre autour du logement social : « Construire ensemble – le Grand Ensemble »

  • Nous sommes fin 2014, et après 2 années d’expérimentations, rien n’est encore gagné pour concrétiser et pérenniser toute l’énergie citoyenne qui s’est pourtant manifestée au travers de l’Université Foraine : à l’heure du bilan et dans un contexte de nouvelle mandature à la Mairie, le débat et le rapport de force autour du devenir de Pasteur fait des émulesLa fête de l’Hospitalité manque d’avoir lieu, faute d’autorisation accordée. Ce moment symbolique visait à marquer de façon festive et collective la fin de la convention d’occupation signée à l’origine. La fête s’imposa malgré tout, grâce à l’élan citoyen, et fut finalement tolérée par les autorités. Comme convenu, le lendemain la clé de Pasteur fut remise et l’occupation des lieux pris fin.

 

  • Après plusieurs mois de discussions, un compromis est trouvé sur le devenir du bâtiment Pasteur : le rez-de-chaussée accueillera dès la rentrée 2019 une école maternelle de 8 classes, soit 230 bambins qui auront à disposition plus de 2000 m2 ! Les étages seront quant à eux mis à disposition pour développer de multiples activités au sein de l’Hôtel à Projets Pasteur, et un Edulab’ sensibilisera, enseignera et diffusera tous types de savoirs, notamment autour des pratiques numériques. Au total l’Hôtel Pasteur pourra recevoir 700 personnes !
    Cet accord n’aurait sûrement pas connu la même issue sans la mobilisation et les témoignages de celles et ceux qui ont vécu et incarné les activités menées sur place. C’est une très belle démonstration de la pertinence de la démarche d’ouverture et de liberté laissée à l’expérimentation : donner un espace et un temps aux initiatives, a permis à la société civile de se mobiliser et de révéler les besoins par l’action.

 

De retour dans le présent et dans cette salle, tout le monde est exalté par la richesse de ce parcours. On imagine l’effervescence passée et à venir du lieu lorsqu’on va visiter le chantier avec Guillaume Jouin-Tremeur. Ce chantier ouvert connaît en ce moment sa deuxième phase. Comme son nom l’indique il laisse de la place à la vie, à l’expérimentation et à l’animation du lieu. On retrouve l’esprit qui a traversé  la Cité de Chantier au Wip, même si ici, tout se passe dans un même bâtiment, sur un seul lieu.

 

L'équipe de l'Hermitage à l'Hôtel Pasteur

Latifa et Jean entre 2 étages, ravis de la visite ! L’Hermitage repart avec la banane et regonflé à bloc ! On a déjà hâte de revenir.

 

La philosophie de l’action

Si l’on ne devait retenir qu’une seule chose, ça serait surement celle de la philosophie de l’action, qui fait écho au concept phare défendu par Hannah Arendt. Cette action s’incarne pleinement à nos yeux au travers de l’Hôtel Pasteur et du Wip : par leurs chantiers ouverts qui permettent la vie en continue même pendant les travaux, et par les espaces temps qu’ils offrent au service du “permis de faire”. Les besoins ne se décrètent pas en amont, et leur mise en lumière est alors rendue possible via l’attention apportée aux usages et expériences.

Ces deux visites, nous ont clairement révélé le sens, la force et la portée qui émanent du partage des idées, des pratiques.

Se donner le droit de se tromper, de tomber, d’apprendre et de recommencer… l’essentiel est de faire, de tenir, d’y croire, et de démontrer ensemble que c’est possible, qu’il suffit parfois de se lancer, et d’avancer coûte que coûte. Et dans les moments difficiles, il est toujours précieux de se rappeler qu’un certain Winston Churchill disait “le succès, c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme”.

Au fond, ces approches rappellent des intuitions d’origine de l’Hermitage, et plus largement de la culture des “Makers”, “Hackers” et des “Fablabs”. Nous sommes convaincus que celle-ci est motrice de “laboratoires du changement social”, porteuse d’espoir et génératrice d’innovations à impact social, culturel, environnemental, technologique …).

À l’image d’une recette familiale partagée de génération en génération et que chacun s’approprie selon ses goûts et son histoire, nous sommes certains que la famille des tiers-lieux trouvera à l’Hôtel Pasteur de quoi se régaler, et toute cette énergie nécessaire pour porter des initiatives citoyennes dans la durée.

C’est, en tout cas, ce que l’on fait mijoter, à notre sauce, dans les fourneaux de l’Hermitage !

 

Un immense merci à Sophie Ricard, Lise Buisson et Guillaume Jouin-Tremeur de pour votre formidable ccueil à l’Hôtel Pasteur!

Quant à nous, on se retrouve très vite pour une nouvelle étape de la tournée des tiers-lieux de l’Hermitage !

 

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Pour aller plus loin (vous ne serez pas déçu !)

 

  • Article : “entretien avec Sophie Ricard (Exploration Mille Lieux par Ouishare) Pour Sophie Ricard, responsable de la permanence architecturale de l’Hôtel Pasteur à Rennes, un Tiers-Lieu est un espace ouvert à tous, qui favorise les rencontres fortuites, permet des apprentissages mutuels et pose les bases d’une nouvelle fabrique de la ville.”
  • Entretien audio : on vous laisse en tête à tête avec Sophie Ricard pour mieux percevoir la manière dont a été mise en musique depuis près de 10 ans la vision défendue par Patrick Bouchain. On y découvre son parcours d’architecte de terrain, et on s’imprègne de l’ensemble du processus mis en oeuvre dans l’émergence de l’Hôtel Pasteur. Frissons garantis !
  • Documentaire vidéo en ligne (gratuit) sur l’Hôtel Pasteur : “L’étrange histoire d’une expérience urbaine opère au croisement de deux questions cruciales dans les transformations en cours : 1. Comment recycler les bâtiments désaffectés (tant en ville qu’en campagne), 2. Quels nouveaux usages pour les espaces publics ?.”